
Mercedes Erra, publicitaire et présidente de BETC Euro RSCG, est plutôt confiante en l’avenir : « Avec certaines femmes enfin au gouvernement, la société vient de se trouver des modèles féminins venant du Maghreb, souligne-t-elle. La mode et la pub suivront… » En attendant, les critères de sélection des mannequins de couleur sont toujours plus sévères. Elise, jeune Black sculpturale qui rêve de devenir top model, explique : « J’ai rencontré un chasseur de têtes. Il m’a demandé combien je mesurais : 1,76 m. Il m’a dit : 'Ça risque de coincer. Pour les 'minorités ethniques', les critères sont plus stricts. Il faut faire 1,80 m et être plus mince que les Blanches.' J’ai alors compris que je n’aurais pas les mêmes chances que les autres. »
Pourquoi encore tant de frilosité ? Pour lever les verrous d’une mode coincée qui refuse de se regarder en face, peut-être faut-il aussi se pencher sur nos propres critères de beauté… D’où viennent-ils ? Pourquoi sommes-nous aussi conservateurs ? Pour comprendre, nous avons convoqué les acteurs qui œuvrent à chaque étape d’une campagne ou d’un reportage de mode. Ils s’expliquent.
Agences de mannequins, publicitaires, magazines... quelle est leur part de responsabilité ? ils répondent :
Victoria da Silva, directrice de casting, scouter (découvreuse de nouveaux top models) chez Elite
Ce qu’elle fait : elle parcourt le monde à la recherche de nouvelles beautés. Elle a une conscience aiguë du marché, de la beauté « vendeuse » ou pas. En ce moment, elle est souvent au Brésil, mais aussi en Inde.
Ce qu’on reproche aux agences de mannequins : d’avoir les lois du marché comme guide suprême et de se conformer à la demande, de choisir les plus belles filles selon des critères qui restent très normatifs et occidentaux. D’avoir organisé des castings en banlieue pour finalement recruter peu de métisses. D’avoir des critères encore plus sévères pour les mannequins de couleur…
Ce qu’elle dit pour leur défense : « Nous ne sommes pas allés en banlieue recruter de 'nouvelles' beautés, mais pour nous rapprocher de toutes les filles, ce qui est l’idée des castings Elite depuis des années. Partout, notre but est toujours le même : recruter les futures top models, donc les plus belles filles. Je n’ai pas besoin d’aller en banlieue pour recruter des Blacks et des Beurettes. Quand on organise un casting, je vois plus de jeunes Beurs à Marseille qu’en banlieue parisienne… Partout, nous choisissons les plus belles. Aux Antilles, j’ai recruté une blonde. La presse m’a traitée de raciste. Mais nous ne sommes pas le concours de Miss France ! Ce jour-là, la plus belle fille était blonde ! A Clermont-Ferrand, récemment, je n’ai pris qu’une fille, c’était une jeune Maghrébine. J’ai vu que c’était la plus belle. Je ne connais pas la discrimination positive. En pub, en presse, on nous demande peu ces filles. Alors, c’est vrai, on est plus difficile avec elles, car le marché est moins important. Les blondes à la peau claire sont plus universelles. Elles se vendent partout. Mais peut-être pourrait-on baisser les critères de sélection des filles de couleur et prendre plus de risques ? »
Nicolas Menu, directeur artistique dans la pub. Travaille pour Givenchy, Cacharel, Kookaï…
Ce qu’il fait : il crée, met en images et invente l’histoire qui représentera la marque de son client. Il choisit le mannequin, l’ambiance, la lumière, le ton et propose l’idée finale à « l’annonceur », qui a le dernier mot.
Ce qu’on reproche à la pub : de s’autocensurer en ne proposant que rarement des mannequins de couleur aux clients, sauf pour les sujets « ethniques ».
Ce qu’il dit pour sa défense : « Aujourd’hui en pub, j’ai l’impression que la belle fille blonde a un côté un peu démodé. La tendance est plutôt aux mannequins un peu trash, avec de vraies gueules. Mais c’est vrai que les mannequins blacks, asiatiques ou maghrébins continuent d’être peu choisis. Sauf s’il y a une intention précise, revendiquée. Les Blacks marchent mieux que les Beurs. Le ressort n’est plus celui de l’identification, mais celui de l’exotisme. La fille marocaine est peut-être à la fois trop proche et trop lointaine. De toute façon, on n’en trouve pas dans les agences… Quand on veut avoir une couleur “Maghreb”, on prend une Brésilienne. On m’a déjà demandé d’éclaircir des couleurs de peau à la palette graphique.
« On fait des pubs de Blancs pour les Blancs dans des pays de Blancs, où le pouvoir d’achat est blanc… En revanche, je suis toujours profondément choqué de ne voir que des Européennes au Japon. Regardez le 'Vogue' japonais, il n’y a pas un seul mannequin japonais dedans ! »
Fabienne Schabaillie, directrice du booking au magazine Marie Claire
Ce qu’elle fait : elle sélectionne les mannequins en fonction de l’identité Marie Claire, du concept mode à mettre en relief et de la sensibilité des photographes, qui ont, eux aussi, leurs exigences.
Ce qu’on reproche aux magazines : donner une image normative de la beauté féminine : blanche, blonde, occidentale.
Ce qu’elle dit pour leur défense : « Comparé à d’autres magazines, nous faisons travailler beaucoup de Brésiliennes et de filles très brunes, mais il est vrai que nous choisissons rarement des mannequins noirs. Simplement parce qu’elles ne « vendent » pas. Quand nous avons fait une couverture avec la sublime Naomi Campbell, les ventes ont, hélas, été décevantes, et il faut savoir que multiplier les couvertures qui ne marchent pas mettrait en péril notre magazine. C’est moins vrai pour les séries de mode, où l’on pourrait plus souvent 'jouer' la couleur. Mais, pour les mêmes raisons, on trouve très peu de filles de couleur en agence : une ou deux Blacks et une Asiatique, sur une cinquantaine de mannequins. Selon moi, cela n’a rien à voir avec le racisme. C’est juste que les lectrices, en majorité blanches, recherchent avant tout un effet miroir. Elles doivent pouvoir s’identifier. La preuve : c’est différent aux Etats-Unis, où il existe un vrai marché black et latino, autant en mode qu’en cosmétique. Mais sans doute devrions-nous brusquer les choses pour que nos lectrices s’habituent à un autre type de beauté. Heureusement, le melting-pot grandissant de notre société va nous y aider. »
Marie N’dao, Sénégalaise, mannequin chez Metropolitan
« On vit en Europe, la population et le marché sont blancs. Les femmes s’identifient à ce qui leur ressemble. En plus, je suis très foncée. Je suis sénégalaise et je l’assume à 200 %. Mais heureusement, il y a des marques qui m’adorent : Lanvin, Givenchy… Souvent, en France, les Blacks font des sujets « ethniques », on ne peut s’empêcher de leur mettre de la peinture sur le visage ou des plumes. Nous restons des Noires avant d’être des mannequins. Ou alors il faut qu’il y ait un parti pris fort. En mars dernier, Alber Elbaz (Lanvin) n’a fait défiler que six filles, toutes blacks. A Paris, nous sommes quatre ou cinq à travailler vraiment. Sinon, il faut partir aux Etats-Unis… ou à Londres. En France, sur les castings, si je fais l’Américaine, je passe mieux que si je dis que je suis sénégalaise. Mais avant, les Noires ne travaillaient pas du tout. C’est en train de changer. »
Laila Chaab, Marocaine, mannequin chez Mademoiselle
« Quand je suis arrivée à Paris, j’ai pleuré pendant deux ans ! Au Maroc, je travaillais bien. Une fois ici, j’étais loin de ma famille et c’était le désert. J’habitais avec deux autres filles, une blonde et une Asiatique, dans un appartement que louait l’agence de mannequins. A 18 heures, le concierge passait nous apporter les rendez-vous des castings du lendemain. Il n’y en avait que pour la blonde… Je me souviens aussi d’un de mes premiers essayages, j’étais super-contente, je suis arrivée avant tout le monde. La directrice de casting, qui ne m’avait pas encore vue, m’a demandé ce que je faisais là : « Vous vous êtes sûrement trompée. » Sous-entendu : on n’aurait jamais recruté une Marocaine pour notre marque… J’ai insisté, elle m’a fichue dehors. J’étais humiliée. Je me suis accrochée, ça a décollé, et maintenant, je garde toujours la tête haute. Aujourd’hui, je travaille pas mal pour Adidas, Promod, Nike… Je fais des catalogues. Mais c’est vrai, davantage en Belgique, en Allemagne et en Hollande qu’en France. Ici, je vois bien que l’on regarde toujours mon book plus vite que celui des autres, Blanches et blondes. C’est pareil pour toutes les métisses… Je me lisse les cheveux, c’est important pour bosser plus. Dans mon sac, j’ai toujours les photos et les coordonnées d’une copine blonde. Je sais qu’à un moment de la journée, forcément, on me demandera : « T’as pas une copine blonde ? » Les blondes ont douze castings par jour, les métisses, trois… Mais bon, on a une peau qui vieillit moins vite ! Et nous aussi on s’organise, on fait marcher le réseau. »
KISSOUS
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